Cela doit remonter aux années 1993 ou 1994. Je travaillais depuis trois ans comme techico-commercial dans une société internationale. Le poste me plaisait et on appréciait mon travail. C'est alors que notre direction nous annonça que notre département ne serait bientôt plus rattaché à la maison mère, en vue d'un rachat imminent par une société étrangère. Cela se concrétisa en effet les semaines suivantes (on fut racheté par une compagnie américaine) ; survinrent alors plusieurs restructurations, puis les premiers licenciements… L'ambiance se dégrada, les bruits de couloir allaient bon train, la peur du lendemain gagna les employés.
Telle était l'ambiance, quand un midi en rentrant de déjeuner, une pause aux toilettes s'imposa. Je ne soupçonnais pas que c'était la première crise d'une longue série. Car je ne m'en inquiétais alors nullement, pour moi soit j'avais simplement mangé quelque chose qui ne passait pas (j'étais déjà fragile des intestins) soit cette crise était tout simplement d'origine virale.
Par contre, ce qui était nouveau, et qui me surprit par la suite, c'était la fréquence et la régularité de ces crises "post-déjeuners" qui me frappaient de plus en plus souvent. Le phénomène était arrivé brutalement : ce n'était pas comme d'habitude. Je commençais par corriger d'abord mon alimentation (en réduisant les fibres par exemple) et dans le même temps je consulta mon généraliste. Il me donna différents traitements qui furent tous inefficaces. D'ailleurs j'ai toujours eu comme la vague impression qu'il ne m'avait jamais vraiment pris très au sérieux…
Ces troubles intestinaux devinrent rapidement une gêne quotidienne, moins dans ma vie sociale (du moins au début) que dans ma vie professionnelle. J'avais l'habitude de me déplacer régulièrement - dont au moins une fois par mois à l'étranger - et de déjeuner avec des clients. Les crises qui ne manquaient jamais de survenir dans de telles circonstances devinrent si pénibles que j'en devins vite déstabilisé. Craignant de plus en plus les déplacements, j'essayais de les éviter, quitte à me mettre dans des situations conflictuelles vis-à-vis de ma hiérarchie, en invoquant à chaque fois des excuses guère recevables. Presque quinze après, je n'ai pas résolu ce problème, et j'aborde toujours chaque réunion, chaque rendez-vous, chaque déplacement gavé d'Immodium, pour pouvoir tenir quelques heures!
Le pire, c'est que ces crises sont survenues à un moment où ma vie était sereine, et ma carrière professionnelle promise à un avenir presque tracé. Mes petites angoisses de jeunesse étaient pratiquement oubliées, la sensibilité de mes intestins s'était même estompée. Je ne sais pas si c'est la peur de mon avenir professionnel - avec les soubresauts que traversait mon entreprise durant ces années, conjugués aux effets de la crise économique de 1994 - qui fut le "facteur déclencheur". Si aujourd'hui j'ai gardé ma place dans cette société où je travaille d'ailleurs toujours, je me suis du même coup "auto condamné".
Pour revenir à mes intestins, devant l'inefficacité des médicaments proscrits par mon médecin généraliste, j'ai fini par me décider à aller consulter un gastro-entérologue. Les premiers traitements qu'il me donna furent tout aussi inefficaces que les précédents. Il me fit alors passer une coloscopie : on me parla d'une vague colite. Suite à cet examen, et au résultat, tous les médicaments qui suivirent n'eurent pas plus d'effet. Le pire est que je n'avais pas vraiment de nom à mettre sur cette maladie! Ses origines semblaient comme mystérieuses. Les mots qui sortaient de la bouche de mon gastro-entérologue au sujet de ce mal étaient tellement vagues que ça me désorientait. On me répétait que ma maladie était bénigne et pourtant elle me pourrissait ma vie de tous les jours. Aussi je finis par arrêter les consultations. Si j'ai connu plus tard une petite accalmie d'une ou deux années, les symptômes sont vite réapparus. J'avais alors changé de généraliste, et face à mes crises redevenues régulières, il y a deux ans il me refit passer une coloscopie : tout était parfaitement normal. Aujourd'hui je revois mon gastro-entérologue tous les 6 mois, je sais au moins que je souffre du syndrome du côlon irritable, et les divers traitements demeurent toujours aussi inefficaces. C'en est déconcertant. A s'en prendre la tête dans les mains.